haydn Site Admin
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Posté le: Lun Juin 13, 2005 6:07 pm Sujet du message: Interview : Thomas Lund, soliste principal. |
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Thomas Lund est soliste principal et sans doute l'un des danseurs du Ballet Royal du Danemark les plus connus sur le plan international. A ceux qui voudraient en savoir d'avantage sur lui, il faut conseiller de faire une visite sur son site web : www.dancer.dk
Pour Dansomanie, Thomas Lund a accepté de livrer ses reflexions sur le "style Bournonville", ses spécificités et son évolution au fil des ans.
Précision utile avant la lecture de cette interview, où il est à plusieurs reprises question de "danseurs de caractère". Cette expression n'a pas le même sens en France et au Danemark, où elle désigne un artiste spécialisé dans les rôles mimés.
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Les qualités pour danser Bournonville? D'abord, tout simplement, être un bon danseur classique, de manière générale. Ensuite, avoir un bon ballon, de bons pieds, un corps souple, des lignes harmonieuses. Il faut être capable de produire un travail propre, en faisant très attention aux nombreux bras-bas que l'on trouve chez Bournonville. Cela doit servir à mettre en valeur la musicalité du jeu de jambes. Si on ne sait pas faire cela, il est difficile de montrer correctement ce qu'est le style Bournonville.
Le "style Bournonville", ou l'idée qu'on s'en fait, a d'ailleurs évolué dans le temps. Aujourd'hui, justement, on fait beaucoup plus grand cas de la position des bras qu'il y a quelques années. Avant, on dansait en se posant moins de question, de manière plus spontanée, mais aussi en accentuant moins les différences de style entre les ouvrages de Bournonville et les autres chorégraphies. Maintenant, on a pris réellement conscience du devoir qui nous incombe, de protéger un trésor.
En tant que professeur et Maître de ballet (appelé "Instruktor" au Danemark, ndlr.), je constate aussi ces changements. Les jeunes veulent à présent tout savoir, tout analyser, et il faut pouvoir expliquer, justifier chaque détail d'une chorégraphie. C'est évidemment très bien de vouloir comprendre ce que l'on fait, mais il faut aussi être capable de faire la différence entre les cours et les répétitions d'une part, et le spectacle d'autre part. Une fois sur scène, il faut "oublier" toute la science qu'on a acquise, et penser avant tout à raconter une histoire, la communiquer au public, et se laisser véritablement emporter par elle.
Lorsque j'incarne un personnage, et tout particulièrement lorsque je dois danser "grand", il faut que j'en assimile tous les détails psychologiques. Quand on danse Napoli ou La Sylphide, il faut littéralement changer de peau et s'imprégner de l'essence du personnage. En fait, ce n'est même plus vraiment une question de style de danse, mais de travail d'acteur.
Maintenant, pour reparler style, ce qui caractérise principalement Bournonville, c’est cette exigence de naturel. Bournonville lui-même a écrit qu’il détestait ce qui apparaissait comme artificiel, sur-joué. Malheureusement, dans certains ballet, c’est dur de trouver aujourd’hui ce fameux naturel dans le jeu. Ce sont des œuvres anciennes, et le danseur peut être inhibé par les costumes et les décors, qui le renvoient à une époque qui n’est pas celle qui lui est familière.
En conséquence, il faut fournir de gros efforts pour s’adapter à l’environnement scénographique, au maquillage même et rentrer ainsi véritablement dans le personnage. Il ne faudrait pas pour autant décider d’abandonner systématiquement les décors des anciennes productions, comme ceux, mythiques, de la Sylphide ou de Napoli. Mais de temps en temps, il faut aussi être capable d’apporter quelque chose de neuf. Certaines productions doivent continuer d’être dansées de manière traditionnelle, et d’autres peuvent être actualisées.
De toutes façons, le «style Bournonville» lui-même évolue. Dans les années 1970, des danseurs tels Flemming Flindt ouvraient beaucoup moins les bras qu’on ne le fait aujourd’hui, par exemple. La technique aussi évolue, et fortement. Si l’on regarde les quelques films qui ont été tournés au début du XXème siècle, on peut mesurer cette évolution : maintenant, les hommes sautent beaucoup plus, et les filles montent beaucoup plus fréquemment sur pointes. On ne peut pas empêcher cette évolution, mais il faut l’encadre, savoir fixer des limites pour ne pas aller trop loin.
Si Bournonville était encore de ce monde, il voudrait certainement que la danse évolue. De son vivant déjà il lui arrivait de modifier ses propres ballets vingt ans après leur création, pour les adapter à l’évolution du goût et de la technique. C’est cela qui les fait perdurer au répertoire. Certes, les ballets de Bournonville sont des objets de musée, dont il faut prendre grand soin ; mais si l’on est trop rigide dans la conservation, on tue la création. L’important, c’est d’offrir au public d’aujourd’hui un spectacle de qualité, et qui lui plaise.
Si les chorégraphies évoluent, les interprètes eux aussi évoluent. Quand j’étais plus jeune, je voulais danser Gennaro, James ou Carelis [les rôles principaux de Napoli, de La Sylphide et de La Kermesse à Bruges, ndlr.]. Maintenant, mon prochain objectif, disons d’ici cinq à six ans, serait de faire l’un des Trolls d’Un conte populaire (Et Folkesagn) ainsi que quelques rôles de caractère, comme Madge, la sorcière de La Sylphide.
Ce qui est formidable chez Bournonville, c’est que lorsqu’on n’est plus en état physique de danser les rôles traditionnels de jeune premier, on peut continuer à se produire sur scène dans les rôles de caractère. Et monter sur scène, c’est fondamentalement ce que j’aime. Je pense être très privilégié, car j’ai eu la possibilité d’interpréter pratiquement tous les rôles «dansants» du répertoire de Bournonville. A présent, j’aspire donc a jouer ces rôles de caractère que je n’ai pas encore étudiés, et c’est cette perspective qui me préserve un intérêt à la vie!
Même dans les ballets autres que ceux de Bournonville, il y a souvent des rôles que l’on peut assimiler à des «rôles de caractère». En ce qui me concerne, je trouve qu’il est préférable d’avoir l’âge du personnage que l’on doit interpréter. Pour jouer un vieux roi, il vaut mieux un danseur âgé qu’un jeune grimé en vieillard.
L’un des éléments les plus importants de la tradition chorégraphique danoise, c’est que toutes les classes d’âge sont représentées sur scène. Automatiquement, la danse en devient plus naturelle. Au Danemark, les danseurs de caractère sont considérés comme aussi importants que les jeunes solistes. Voyez Poul-Erik Hesselkilde. Le 9 juin, pour ces 40 ans de scène, on lui a fait une fête digne d’une nomination d’Etoile. Quand Poul-Erik était jeune, il n’était pas une étoile ; mais comme c’est un acteur fantastique, il est passé de l’anonymat du corps de ballet au statut de vedette lorsqu’il est devenu danseur de caractère. Cela fut pour lui le départ d’une véritable seconde carrière.
Si j’ai de la chance, je pourrais me reconvertir de la même façon. Je l’espère en tout cas.
Entretien réalisé le 10 juin 2005
© Thomas Lund - Dansomanie
Photo : Henrik Stenberg - Service de Presse, Ballet Royal du Danemark
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