Balanchine - Brown - Bausch, ONP, 10/12-31/12 2010

[marc]

[Jonquille]

Camille de Bellefon remplaçait Stéphanie Romberg ce soir dans Le Sacre.

[haydn]

Il me semble que la veille, Yvon Demol remplaçait Alessio Carbone, heureusement de retour. Cela montre clairement que dans le Sacre version Pina Bausch, les considérations de hiérarchie n'ont pas de sens, et que hormis l'Elue (et encore), il n'y a pas vraiment de "solistes" dans l'acception normale du terme.

[haydn]

Quelques mots sur la représentation du 15 décembre.

En ouverture de soirée, Apollon était incarné par Florian Magnenet, qui, sans s’imposer de manière aussi souveraine que Nicolas Le Riche – dont il ne possède pas la présence scénique – a fait plutôt bonne impression, aidé – comme le rôle l’exige – par une plastique avantageuse. Nous sommes au Panthéon grec, n’est-ce pas?

A ses côtés, Emilie Cozette est une Terpsichore à la belle technique, mais un peu sage, n’affichant ici pas le même brio que dans le Lac des cygnes, où elle s’est imposée dans discussion possible. Dans le groupe des Muses, c’est finalement la Calliope d’Eve Grinsztajn qui domine, par son sens de l’humour et sa théâtralité, et ce qu’il faut de charme et de piquant. Amandine Albisson (Polymnie) s’avère, comme Mlle Cozette, satisfaisante sur le plan technique, mais elle danse un peu trop «pour elle-même», en donnant l’impression de se désintéresser d’Apollon qu’elle est censé essayer de séduire en vain, celui-ci n’ayant d’yeux que pour Terpsichore.

Je ne reviendrai pas longuement sur O złożony / O composite, que je n’arrive décidément pas à apprécier. La distribution, de bon niveau, était dominée par Nicolas Le Riche, qui met tout son talent et toute son expérience au service de la chorégraphie de Trisha Brown. Sa gestuelle est pondérée, ample et expressive. Josua Hoffalt, excessivement appliqué la veille aux côtés d’Isabelle Ciaravola et de Vincent Chaillet, est apparu cette fois sous un bien meilleur jour : moins scolaire, il a su danser «plus large», en donnant une direction, un sens aux mouvements qu’il exécutait.

Mais l’intérêt principal du programme demeure Le Sacre du Printemps, qui clôture le spectacle en apothéose. La chorégraphie de Pina Bausch résiste bien à l’usure du temps, et s’avère finalement plus intéressante que les pénibles reconstitutions «historiques» de Millicent Hodson et Kenneth Archer, qui ne rendent pas vraiment justice à la force brutale de l’œuvre de Nijinsky et de Stravinsky. Cela n’empêche pas l’œuvre d’évoluer au fil des reprises, et les danseurs de l’Opéra, qui semblent vraiment «chez eux» dans ce répertoire, en donnent une lecture sans doute moins militante qu’elle ne l’était en 1975, lors de la création à Wuppertal. Féminisme plus modéré donc, au profit d’une violence très esthétisée. Géraldine Wiart, naguère choisie par Pina Bausch elle-même, est une Elue d’une grande âpreté, très «animale», ne cherchant, à juste titre, pas la «belle danse». Les versions atypiques du Sacre du Printemps semblent d’ailleurs lui réussir, puisqu’elle avait naguère laissé un très bon souvenir en tant qu’interprète de la chorégraphie déjantée concoctée par Paul Taylor.

[Jonquille]

Florian Magnenet dansera Apollon en remplacement d'Hervé Moreau samedi 20 décembre. Sa Terpsichore sera Marie-Agnès Gillot.

[dusuau]

Petites impressions sur la soirée du 15 décembre.

Apollon, que j'ai déjà vu un certain nombre de fois, m'a fait passer un moment sympathique. J'ai trouvé Florian Magnenet assez correct dans ce rôle. Je rejoins Haydn sur Eve Grinsztajn. S'en suivit "O Zlozony O Composite". Je trouve que la musique est très astucieusement utilisée dans cette chorégraphie. On y trouve de belles images, avec des élans d'apesanteur perceptible dans les prouesses aériennes. Devant ce ciel étoilé, CM Osta avait l'allure d'un vrai petit satellite en orbite basse! Elle était portée par Nicolas LeRiche, qui est à l'Opéra ce que Ariane5 est à l'ESA*. Malheureusement, cette chorégraphie n'a pas l'air d'avoir satellisé assez de monde dans la salle, vu la constellation de téléphones portables allumés dans la salle vers la fin.
En ce qui concerne les décors entre Balanchine et Trisha Brown, c'est un peu le jour et la nuit...

Ces deux premières chorégraphies faisaient office de bonne "première partie" avant le ballet de Pina Bausch qui lui permet d'atterrir après le vol spatial.
Saluons en premier la prouesse des jardiniers qui permettent l'étalage de la terre sur la scène de Garnier donnant un petit air "Roland Garros" à cette soirée. Ces derniers ont été applaudis par l'assistance.

Excellente idée que cette terre qui permet de retracer les pas des danseurs durant la "performance". C'est dans cette terre que Pina Bausch fait germer un certain nombre d'idées. Ce Ballet est unique par son langage. Pina Bausch possède une certaine autorité artistique, elle peut même se permettre de jouer avec la musique de Stravinsky en laissant le souffle des danseurs s'exprimer entre les mouvements de la partition. Les danseurs sont marqués par l'intensité artistique et physique; chose révélée par la terre qui laisse des traces sur leur corps. Une certaine profusion règne, on peut être secoué voire plaqué par l'énergie dissipée. Les regards portés par Géraldine Wiart et Romoli sont vraiment impressionnants. Il s'agit de la vraie danse contemporaine que j'apprécie. On est loin, très loin des tableaux répétitifs débiles encouragés par Prejlocaj avec l'omniprésence d'homosexualité couplé avec une incessante vulgarité. ICI, rien de tout ça, c'est de la Danse, de la BONNE!

*ESA:European Space Agency

[haydn]

C'est Marie-Agnès Gillot qui a été désignée pour sauver les représentations initialement dévolues à Agnès Letestu. Elle sera la Terpsichore de Nicolas Le Riche le 17 et le 19 décembre (20h00).

[masha]

[haydn]

Les intentions de Pina Bausch étaient cependant à mon sens parfaitement claires, et en phase avec les préoccupations de l'époque (1975, je le rappelle).

[masha]

des intentions aux résultats ! Je suis sceptique. Cette oeuvre est datée et la dénonciation dans le contexte de l'époque n'est plus actuellement lisible.

[Gracian2]

Il me semble que lorsqu'on décide de faire la choregraphie du "Sacre" - qui est l'évocation d'un antique paganisme ou une vierge est sacrifiée pour assurer le renouveau de la terre - toute idée de misogynie ou féminisme est dépassée.

La géniale musique de Stravinsky évoque assez éloquemment la violence de cet acte de magie primitive.

[masha]

je ne trouve pas justement, et l'emploi de la musique galvanisante de Stravinski me paraît d'autant plus dangereux.

[sophia]

Nous faire pénétrer dans l'espace du mythe, en le dépouillant de ses oripeaux pittoresques (voir pour cela la pénible reconstitution archéologique de Kenneth Archer et Millicent Hodson) et en réinventant par la danse une sorte d'agon primitif "par-delà le bien et le mal", c'est ce que propose ce Sacre de Pina Bausch. Il y a une telle évidence dans la frénésie et le déchaînement physique recréés par cette pièce, à commencer par le cérémonial de la terre qui en est partie intégrante, qu'on a l'impression que la musique de Stravinsky a été écrite pour aboutir à cela. Sans doute y avait-il à la création un petit côté MLF allemand dans les choix esthétiques (poils sous les bras, hygiène approximative, queues de cheval et grandes robes fluides...), mais ces éléments, pour le coup "datés", sont complètement intégrés et dépassés par le désir de mise en scène d'une humanité primitive et la représentation d'une violence sacrée universelle. Il y a aussi cette impression extraordinaire de voir pour une fois les danseurs se dépouiller de leur ego, et pas seulement parce qu'ils respirent fort et ne sont pas maquillés.
Ce qui est terrible peut-être pour l'intellect quand on regarde cette pièce aujourd'hui, c'est la vague émotionnelle radicale, ainsi que l'impression de "définitif" qui s'en dégagent, ça oui, ça peut faire peur, comme peut faire peur "la hache qui brise la mer gelée en nous" du livre selon Kafka.

Pour le reste, je dirais que cette soirée bizarrement composée est faite pour aboutir à ce chef d'oeuvre (et je ne me paye pas de mots), voire à lui servir d'apéritif dînatoire plus ou moins ennuyeux ou plaisant, c'est selon. Par-delà le lien que constitue la musique de Stravinsky, le parallèle Sacre / Apollon pouvait être en soi intéressant à exploiter d'un point de vue esthétique (deux beautés en contrepoint l'une de l'autre), même si la distribution d'hier soir d'Apollon ne m'a pas paru vraiment passionnante. Il faut dire qu'entre les deux, O Zlozony a simplement l'air d'une oeuvrette en noir et blanc de plus, aussi gentillette que longuette, et bien vite oubliée.

[masha]

Je ne vois pas cette œuvre sous cet angle et ne trouve aucune évidence. Peut-être suis-je encore plus terre à terre que la terre qui est sur scène, mais je ne trouve pas innocent de mettre des femmes dans des tenues modernes et transparentes qui apparaissent certes parfois primaires et renvoient au mythe mais surtout fragiles et ces hommes exhibant leurs pectoraux comme des bellâtres, Cette répartition par genre, cette gestuelle des bras pour les femmes dans les aigus et ces sauts puissants chez les hommes, Ok, faibles femmes… cette soumission au plus vieux et plus moche, ce sein à l’air (pourquoi ?) et pour finir cette crise d’hystérie comme décrite dans les manuels de médecine du 19e siècle pour justifier la spécificité des femmes ? Non, désolée, ça ne passe pas en 2010. Peut-être qu’il suffirait d’autres costumes et que l’élu soir un homme… mais comme ça, non, j’y arrive pas, surtout après Apollon qui ne fait pas en finesse dans la misogynie.

[Jonquille]