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critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Lyon

10 novembre 2009 : "Three Solos and a Duet", Mikhaïl Barychnikov - Ana Laguna


mikhail barychnikov
Mikhaïl Barychnikov 

A l'heure où l'âge de la retraite ne cesse de baisser pour les danseurs, Mikhaïl Barychnikov et Ana Laguna, dont les carrières ont respectivement commencé en 1966 et 1974, donnent en tournée une preuve émouvante de l'importance de la maturité – et de la valeur d'un art consommé, salué à l'Opéra de Lyon par une ovation debout lors de la première. Alexeï Ratmansky, Benjamin Millepied et Mats Ek leur offrent des oeuvres taillées sur mesure, mais ce que les deux danseurs amènent est au-delà – dans la légende, depuis longtemps.

Alexeï Ratmansky propose quoi qu'il en soit à Mikhaïl Barychnikov une oeuvre profondément intelligente sur la Valse-Fantasie de Mikhaïl Glinka. Le géant entre en silence, s'observant dans un miroir imaginaire tandis qu'une voix-off explique les circonstances de la partition de Glinka – un amour perdu, quitté quelques temps auparavant. Cette nostalgie, teintée de désir, ironique, revient comme un écho dans la chorégraphie, qui colore la légèreté de la valse de tensions sous-jacentes. Barychnikov danse avec les images de son passé – répétant des passages de mime classique perdus, demandant en mariage des fantômes, passant de la gaieté fière d'un Basilio au geste d'oubli des princes, la main posée sur la tempe. Ces signes qui reviennent de plus en plus souvent en viennent à le posséder, à évoquer une folie de Giselle amenée par les traces de l'âge. La musicalité impeccable de Ratmansky parachève ce miroir narcissique et émouvant tendu au danseur-acteur classique, qui, lorsque la musique s'achève, sort en courant comme les princes qu'il a incarné, en quête de ses ombres.

Benjamin Millepied ramène un autre passé de Barychnikov sur scène dans Years Later, en utilisant très largement la vidéo. Le danseur russe s'y retrouve confronté à sa propre image dansant la même chorégraphie, filmée, mais surtout à sa jeunesse, vue à travers quelques vidéos de studio datant de sa jeunesse à Saint-Pétersbourg. La pureté de sa technique y est éblouissante, reste la trace d'une époque extraordinaire pour le Kirov et l'Académie Vaganova. Malheureusement, Benjamin Millepied ne tire pas beaucoup de cette rencontre entre le Baryshnikov d'aujourd'hui et cette figure révolue – le danseur joue de sa nonchalance sur scène, utilisant un jeu d'ombres pour se projeter à côté de son image et imiter certaines postures classiques. Sa technique est plus sollicitée que dans les autres oeuvres au programme, et ses mouvements n'ont rien perdu de leur précision de chat, sauts compris. Il aura cependant surtout joué de son charme avant d'envoyer paître ses doubles digitaux avec un bras d'honneur, et la confrontation laisse un goût d'inachevé.

Deux oeuvres de Mats Ek complétaient le programme en donnant un aperçu complètement différent du travail des deux danseurs, Ana Laguna rejoignant Barychnikov. La muse de Mats Ek, au coeur de nombre de ses créations, n'a rien perdu de ses affinités avec le style tellurique du chorégraphe, dont elle remonte désormais les oeuvres pour d'autres compagnies. Dans Solo for Two, adaptation pour la scène du Smoke immortalisé par Sylvie Guillem, elle est au sommet de son art. On a beaucoup entendu les Spiegel im Spiegel et Für Alina d'Arvo Pärt, mais le corps à la fois majestueux et vulnérable d'Ana Laguna en fait quelque chose de différent – une tristesse du corps qui vieillit, de sa déréliscence et de sa lucidité. Le mouvement de Mats Ek est entièrement absorbé, délié et charnel, sans vulgarité. Ana Laguna l'habite comme une relation ancrée par les décennies, magnifiquement touchante.


mikhail barychnikov et ana laguna dans place de mats ek
Mikhaïl Barychnikov et Ana Laguna dans Place (chor.  Mats Ek)

Place réunit enfin réellement les deux danseurs, autour d'un tapis et d'une table. Le premier mouvement est extraordinaire – vivant dans leur complicité, dans un partenariat qui ne repose pas sur la technique. Barychnikov porte délicatement Ana Laguna en jouant sur la table, et rattrape de manière répétée sa jambe, pied flex, pour un étrange face à face à la Mats Ek, dont la chorégraphie n'a peut-être jamais été autant magnifiée que par ces interprètes marqués par le temps. Les deux autres parties, pour lesquelles le Flesh Quartet a composé une bande-son beaucoup plus rock, perdent malheureusement un peu de vue la relation qui s'établissait – Ana Laguna se cache sous un tapis pendant que Baryshnikov danse un solo puissant et amusé, débarrassé de la nostalgie de l'âge, et lorsque les deux se retrouvent, la musique domine de manière presque excessive – jusqu'à ce qu'ils la laissent passer sur eux, enfin, à nouveau ensemble, au-delà peut-être de toute chorégraphie.



Azulynn © 2009, Dansomanie





Valse-Fantaisie
Musique : Mikhaïl Glinka - Valse-Fantasie, version pour orchestre
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky (2009)
Lumières : Jennifer Tipton
Costume : Deanna Berg MacLean

Solo for Two (extrait)
Musique : Arvo Pärt
Chorégraphie : Mats Ek (1996)
Lumières : Erik Berglund
Décor et costumes : Peter Freiij

Years Later
Musique : Philip Glass
Chorégraphie : Benjamin Millepied (2006 -2009)
Lumières : Jennifer Tipton
Images (film et vidéo) : Asa Mader
Concept vidéographique original : Olivier Simola
Directeur de la photographie : Ghasem Ebrahimian
Costume : Marc Happel

Place
Musique : Fläskkvartetten (Flesh Quartet)
Chorégraphie : Mats Ek (2007)
Scénographie : Peter Freiij
Lumières : Erik Berglund


Avec : Ana Laguna - Mikhaïl Barychnikov

Mardi 10 novembre 2009,  Opéra, Lyon


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