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Ballet du Mikhaïlovsky (Saint-Pétersbourg), tournée à Londres 2010
24 juillet 2010 : Cipollino (chorégraphie Genrikh Mayorov) au Coliseum
Cipollino (chor. Genrikh Mayorov)
Le combat du petit peuple contre la tyrannie des
puissants se décline décidément de toutes les manières en Russie... et
en particulier à l'occasion de cette tournée londonienne du
Mikhaïlovsky... Incroyable mais vrai, Cipollino
est un ballet de fruits et de légumes, une utopie
chorégraphique en acte, dont l'intrigue met en scène un
Petit Oignon héroïque («Cipollino») luttant
bravement, aux côtés de sa copine Radis, de l'oncle
Citrouille et de tous leurs amis légumes, contre l'aristocratie
des fruits, représentée par l'abominable despote en
jaune, le Prince Citron, et son non moins abominable sbire en rouge, le
Seigneur Tomate. Le spectateur est toutefois prévenu dès
l'entrée : Cipollino est un «ballet pour enfants» - en deux heures et en deux actes s'il vous plaît!...
Plus sérieusement, Cipollino
est l'un de ces trésors méconnus en Occident que le Mikhaïlovsky possède
à son répertoire – à l'instar d'autres compagnies russes, comme le
Bolchoï. Programmé semble-t-il assez régulièrement au fil de la saison
du Mikhaïlovsky, on se doute que le ballet doit y faire les délices des
matinées enfantines... A l'origine de l'ouvrage, la musique, très
dansante, de Karen Khachaturian – le neveu d'Aram –, tombé amoureux du
conte d'un auteur italien, Gianni Rodari, au point d'en composer un
ballet, joliment chorégraphié par Genrykh Mayorov en 1973. Les décors et
les costumes colorés et variés de Valery Leventhal participent eux
aussi grandement du charme naïf et ensoleillé de l'oeuvre, réminiscence
plaisante d'un dessin animé d'autrefois, à l'argument gentiment moral et
pédagogique.
Cipollino (chor. Genrikh Mayorov)
Quid de l'intrigue de Cipollino?
On ne se perdra pas dans les détails – elle est bien trop complexe pour
un esprit d'adulte... malgré la présence d'un Monsieur Loyal dont le
rôle consiste à camper brièvement l'action et les personnages, aisément
reconnaissables grâce à la couleur de leurs costumes, pour le jeune
public... Disons simplement qu'ici tout est pour le mieux dans le
meilleur des mondes maraîchers possibles, jusqu'à ce que le jeune
Cipollino écrase le pied du seigneur des lieux, le Prince Citron, qui,
par mesure de rétorsion, fait emprisonner le vieux Cipolline,
incidemment papa de Cipollino. Comme un malheur n'arrive jamais seul,
l'Oncle Citrouille se voit refuser par le Prince Tomate la construction
de sa maison, au prétexte que celle-ci se trouve sur les terres de la
Comtesse Cerise... Et le village désormais solidaire de partir en guerre
aux côtés de Cipollino contre la tyrannie de jaune ou de rouge vêtue...
Cela va sans dire, le ballet s'achève sur la victoire très voltairienne
de la liberté des légumes contre l'oppression des fruits, symbole de
paix et d'harmonie retrouvée, sur fond de ciel bleu et de soleil
éclatant...
Cipollino (chor. Genrikh Mayorov)
Solistes ou corps de ballet, les danseurs du Mikhaïlovsky ont troqué
sans complexe les costumes traditionnels des ballets classiques pour les
tenues fantaisistes et multicolores de ce conte chorégraphique, qu'ils
interprètent avec une drôlerie et un dynamisme emballants - et sans
nulle condescendance pour le public jeune... et plutôt clairsemé du
Coliseum. L'ensemble, très musical, mêle allégrement mimodrame et danse,
laissant même place dans l'acte II à un véritable pastiche de grand
pas, dans la plus pure tradition classique, avec pas de deux, variations
solistes, et pas d'ensemble, qui permet en outre d'admirer les
évolutions féeriques d'un corps de ballet de jeunes filles en fleur – au
sens presque littéral.
Cipollino (chor. Genrikh Mayorov)
Tous les rôles semblent ici parfaitement distribués et rodés, selon une
palette d'emplois qui pourraient être comme un écho de ceux,
immémoriaux, de la Commedia dell'Arte. Alexeï Kuznetsov, en Cipollino,
campe ainsi un petit bonhomme bondissant, tournoyant, aussi malin que
sympathique, à la Figaro-ci Figaro-là, tandis que Sabina Yapparova –
l'une de ces demi-solistes de génie que préservent comme un secret bien
gardé toutes les compagnies russes – se montre éclatante de bonne
humeur, de charme et de piquant dans le rôle de Radis, l'amie fidèle du
héros. Du côté des personnages nobles, Nikolay Korypaev, Prince Cerise à
l'air aussi rêveur que fatigué, parodie avec succès les princes de
ballet mélancoliques. Irina Kosheleva déploie de son côté une danse à
l'autorité sereine dans le rôle féerique de Magnolia, bien accompagnée
dans ce registre par les excellentes jumelles Cerise, Anastasia
Lomachenkova et Ekaterina Krasuyk, aussi spirituelles qu'élégantes dans
leurs tenues de cabaret. En contrepoint de ces caractères solaires, le
Seigneur Tomate de Vladimir Tsal et le Prince Citron de Denis Morozov
brillent par une pantomime excessive et toujours juste dans le
grotesque, d'une parfaite lisibilité.

Cipollino (chor. Genrikh Mayorov)
Entre deux incontournables du répertoire russe (Le Lac des cygnes et Giselle), une récente recréation d'un classique de l'ère soviétique (Laurencia) et un programme mixte aussi varié que passionnant, Cipollino
vient habilement compléter - et épicer à sa manière - l'affiche de la
tournée londonienne du Mikhaïlovsky. Il est sans doute bien difficile de
remplir une salle telle que le Coliseum, en matinée et en plein mois de
juillet dédié au Bolchoï super omnia,
avec une oeuvre ésotérique aux oreilles anglaises, de surcroît assortie
de l'étiquette plombante «ballet pour enfants», mais c'est aussi tout
à l'honneur du Mikhaïlovsky d'avoir su malgré tout proposer, en marge
du connu toujours délectable, un diamant caché de son répertoire
historique – really worth seeing
- qui, à défaut d'être vraiment inédit dans les livres d'histoire,
demeure étrangement peu familier du public amateur de ballet, de ce
côté-ci de l'Europe.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Cipollino
Chorégraphie : Genrikh Mayorov
Argument : Guennadi Rykhlov d'après le conte de Gianni Rodari
Musique : Karen Khachaturian
Décors et costumes : Valéry Leventhal
Cipollino – Alexeï Kuznetsov
Le Radis – Sabina Yapparova
Le Comte Cerise – Nikolay Korypaev
Les Comtesses Cerise (Les Soeurs jumelles) – Anastasia Lomachenkova, Ekaterina Krasuyk
Magnolia – Irina Kosheleva
Le Prince Citron – Denis Morozov
Seigneur Tomate – Vladimir Tsal
Maître Raisin – Pavel Vinogradov
Oncle Citrouille – Denis Tolmachov
Professeur Poire – Andreï Masloboyev
Cipollone (père de Cipollino) – Pavel Maslennikov
Cipolla (mère de Cipollino) – Olga Poverennaya
Cipolletta (soeur de Cipollino) – Natalia Kuzmenko
Le Père du Radis – Alexeï Malakhov
La Mère du Radis – Natalia Parfyonova
Le Petit frère du Radis – Yulia Tikka
Cactus le Jardinier / Le Chef d'orchestre – Mikhaïl Venshchikov
Le Narrateur – Duncan Pow
Orchestre du Théâtre Mikhaïlovsky de Saint-Pétersbourg, dir. Mikhaïl Pabuzin
Samedi 24 juillet 2010, 14h40, Coliseum, Londres
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