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Ballet du Mariinsky
28 juillet 2015 : La Fontaine de Bakhtchisaraï au Mariinsky (Saint-Pétersbourg)
Oxana Bondareva (Maria) et Vitaly Amelishko (Vaclav)
La Fontaine de Bakhtchissaraï,
née sur la scène du Kirov en 1934, a connu un succès fulgurant et s’est
imposée, après la Seconde Guerre mondiale, dans tous les théâtres du
bloc communiste. Le ballet de Rostislav Zakharov a même obtenu une
certaine reconnaissance au-delà du Rideau de fer, et a notamment figuré à
l’affiche du théâtre de Bâle, en Suisse, au milieu des années 1960.
Curieusement, l’une des clés de la réussite initiale de La Fontaine de Bakhtchisaraï
fut la musique de Boris Assafiev, d’une esthétique aujourd’hui datée,
mais novatrice dans l’URSS de Staline. En 1932 déjà, Assafiev avait
conquis les faveurs du public pétersbourgeois avec Les Flammes de Paris,
qui, au travers de pastiches, avait permis la découverte de Grétry,
Méhul ou Gossec, quasi-inconnus jusqu’alors sur les rives de la Néva.
Avec La Fontaine de Bakhtchisaraï,
Assafiev réutilise les mêmes recettes et stylise nombre de danses
populaires de l’Occident slave (cracovienne de l’acte I) et de l’Orient
soviétique (danse du ventre de l’acte II, danses tatares…). Le
compositeur rejoint ici la démarche d’un Glazounov mais, contrairement à
ce dernier, il ne s’en tient pas à un académisme rigoureusement tonal.
La musique d’Assafiev flirte – un peu comme celle de Chostakovitch, le
génie en moins – avec les limites de l’acceptable dans le cadre
contraignant de la doctrine du «réalisme socialiste». Lors de la
représentation du 28 juillet 2015, à laquelle nous avons assisté,
l’orchestre du Mariinsky, placé sous la direction de Boris Grouzine, a
plutôt bien servi cette partition qui ne demande qu’à devenir
tonitruante et vulgaire, pour peu qu’elle soit confiée à une baguette
inexpérimentée.
Alexandra Iosifidi (Zarema)
Lors de la création, les décors et les costumes
conçus par Valentina Khodasevich – sous la supervision de Serge Radlov,
l’un des maîtres de l’avant-garde théâtrale soviétique (et contemplé
avec suspicion par les autorités pour son modernisme affiché) - furent
grandement loués, et n’ont aujourd’hui rien perdu de leur attrait
visuel. L’ensemble est beaucoup plus opulent et chatoyant que dans les
austères productions de Simon Virsaladzé, emblématique de l’ère
brejnévienne. L’influence de Radlov est aussi perceptible sur la
chorégraphie. L’un des axes du travail de Radlov était la recherche
d’une certaine unification des arts du cirque, du théâtre et de la
danse. Il marqua aussi bien Vassili Vaïnonen que Rostislav Zakharov.
Les exhibitions circassiennes de l’acte IV de La Fontaine de
Bakhtchisaraï portent de toute évidence sa marque. Nail Khairnasov – le
commandant Tatar – et ses troupes du corps de ballet masculin, auxquels
sont dévolus l’essentiel des exploits sportifs, se sont acquittés de
leur tâche avec beaucoup d’énergie et de présence, tout en préservant,
mutatis mutandis, une certaine élégance, une finesse même (les tours en
l’air et leurs réceptions sont toujours soignées), qui caractérise le
Mariinsky.
Oxana Bondareva (Maria) et Vitaly Amelishko (Vaclav)
Le livret, adapté d’un poème de Pouchkine, a
recours à quelques vieilles ficelles héritées du dix-neuvième siècle,
mais qui conservent toujours une certaine efficacité. La plus voyante
est la mise en scène de la rivalité entre deux femmes, en l’occurrence
Maria, fille d’un prince Polonais, embarquée de force lors d’une razzia
le soir de ses fiançailles avec le beau Vaslav, et Zarema, la femme du
Khan Tatar Ghirei, délaissée à l’arrivée de la jeune beauté slave.
Marius Petipa ne s’y était pas pris autrement pour La Bayadère ou La Fille du Pharaon.
Pour la création, le 28 septembre 1934, on avait réuni une distribution
de grand luxe : Galina Oulanova (Maria), Olga Iordan (Zarema) et
Konstantin Sergueïev (Vaslav qui allait surtout faire parler de lui en
tant que chorégraphe et maître de ballet). Un tel plateau ne pouvait
s'inscrire que dans une logique de confrontation entre stars.
Alexandra Iosifidi (Zarema)
A
priori, il en était tout autrement pour le spectacle auquel nous
avons assisté. Les deux rôles féminins principaux
étaient confiés à des ballerines qui ne font pas
partie des solistes les plus médiatisées du Mariinsky.
Maria était incarnée par la très belle Oxana
Bondareva, entrée dans la compagnie il y a tout juste un an,
tandis qu’Alexandra Iosifidi – beaucoup plus
expérimentée, mais peu mise en avant hors de Russie -
personnifiait Zarema. Même si l’affrontement de l’ex
et de la nouvelle favorite du Khan aurait pu, ici ou là, prendre
un tour plus violent, cette distribution a priori
«routinière», ou du moins sans grandes vedettes,
s’est avérée d’une haute tenue artistique. Il
en allait de même pour les rôles masculins : Vitaly
Amelishko, qui faisait ses premiers pas en Vaslav, et le fougueux Nail
Khairnasov (Nurali), arrivé en 2013, étaient ainsi
opposés à un vétéran, Nikolaï Naumov
(le Khan Ghirei). Ce subtil équilibre entre débutants
– ou quasi-débutants – et solides briscards a
été une vraie réussite, même si le
rôle du fiancé de Maria – théoriquement le
premier dans l’ordre hiérarchique – est, à
tout prendre, moins intéressant et spectaculaire que les parties
dévolues aux deux Tatars. On aura également
apprécié certains seconds rôles, tels le couple
Elena Bazhenova / Vadim Belayev dans la Cracovienne, ou le beau duo
masculin Vladislav Shumakov / Yaroslav Pushkov, gentilshommes polonais
de l’acte I.
Bref, une soirée qui ne faisait pas de grandes
promesses, mais qui en aura finalement tenu beaucoup. L’émotion que
dégage naturellement l’extraordinaire salle du Mariinsky, avec tout le
poids de l’histoire qui s’y rattache, n’était sans doute pas totalement
étrangère non plus à ce succès.
Romain Feist © 2015, Dansomanie
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Alexandra Iosifidi (Zarema)
La Fontaine de Bakhtchisaraï
Musique : Boris Asafiev
Chorégraphie : Rostislav Zakharov
Argument : Nicolaï Volkov d'après Alexandre Pouchkine
Décors et costumes : Valentina Khodasevitch
Le Prince Adam – Andreï Yakovlev
Maria, sa fille – Oxana Bondareva
Vaslav, fiancé de Maria – Vitaly Amelishko
Ghireï, un Khan de Crimée – Nicolaï Naumov
Zarema, femme de Ghireï – Alexandra Iosifidi
Nourali, un officier – Nail Khairnasov
Le Chambellan – Alexandre Efremov
Le Chef des gardes – Alexandre Romanchikov
Abbot – Timofei Belov
La Seconde femme de Ghirei – Maria Adzhamova
Cracovienne – Elena Bazhenova, Vadim Belayev
Danse des clochettes – Anastasia Asaben
Danse des prisonnières – Maria Shevyakova
Danse des Tatars – Mikhaïl Berdichevsky, Maxime Lynda, Yaroslav Ryzhov
Ballet du Mariinsky
Orchestre du Mariinsky, dir. Boris Grouzine
Mardi 28 juillet 2015, Théâtre du Mariinsky (scène historique)
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