The Turning point –
sorti en France sous le titre peu inspiré Le
Tournant de la vie
- marqua, en 1977, la première incursion de Mikhaïl
Barychnikov au
cinéma. Le danseur, qui avait fait défection lors
d'une tournée du
Kirov (aujourd'hui Mariinsky) au Canada, en 1974, avait
été recruté
dans la foulée comme étoile à
l'American Ballet Theatre, dont il
prit la direction artistique en 1980.
C'est
en tant que star de la célèbre compagnie
new-yorkaise qu'il tient,
dans The Turning point,
le rôle de Youri Kopeikine, «play-boy»
russe de la troupe, qui
entretient une liaison avec Emilia Rodgers, une jeune ballerine
pressée de faire carrière. Originellement, le
personnage d'Emilia
devait être incarné par Gelsey Kirkland,
étoile du New York City
Ballet puis de l'American Ballet Theatre, où elle entretint
une
liaison amoureuse aussi violente que dévastatrice avec
Barychnikov.
En proie à la dépression, elle refusa finalement
de participer au
film, et fut remplacée par une jeune soliste de l'ABT,
Leslie Browne,
recrutée l'année précédant
le tournage et qui fut élevée au
rang de Principal (Etoile) en 1986.
Outre Mikhaïl
Barychninkov et
Leslie Browne, trois autres grands noms de la danse classique figurent
à l'affiche de The Turning
point :
Alexandra Danilova, venue des Ballets russes de Diaghilev, Antoinette
Sibley, Principal du Royal Ballet de Londres, où elle fut la
partenaire en titre d'Anthony Dowell, et Starr Danias, soliste au
Joffrey Ballet.
La
fiction a, pour le couple Emilia/Browne - Youri/Baryschnikov,
involontairement rejoint la réalité. Le
scénario de The
Turning point
est néanmoins
inspiré d'une histoire authentique, celle de Jerome Robbins
(qui
apparaît sous les traits de «Michael
Cooke»), de Nora Kaye
(rebaptisée «Emma Jacklin») –
ex-conjointe du violoniste Isaac
Stern, puis un temps compagne du célèbre
chorégraphe américain
avant d'épouser... le réalisateur de The
Turning point,
Herbert Ross –, et d'Isabel Mirrow (devenue «Dee
Dee Rogers» dans
le film), elle aussi Principal de l'American Ballet Theatre.
Le
trio est interprété, à
l'écran, par James Mitchell, Shirley
Maclaine et Anne Bancroft. Si cette dernière a fait toute sa
carrière au cinéma, James Mitchell, fut, avant de
se consacrer au
septième art, danseur professionnel au sein de la troupe
d'Agnes de
Mille – qui créa le fameux Appalachian
spring
sur la musique d'Aaron Copland – tandis que Shirley Maclaine
reçut
une formation classique à Washington, où elle
tint des rôles de
premier plan dans Roméo et Juliette
ainsi que dans La Belle au bois dormant.
Avec
The Turning point, les
balletomanes auront donc, au moins autant que les
cinéphiles, du
consistant à se mettre sous la dent, d'autant que les
nombreuses
séquences dansées ont été
réglées par Alvin Ailey et George
Balanchine.
Le
plat de résistance chorégraphique est
constitué du gala imaginaire
censé célébrer le
vingt-cinquième anniversaire de l'«American
Ballet Company» (l'ABT avait en réalité
alors déjà trente-six
ans d’existence), avec des soli et des pas de deux extraits
successivement de La Belle au bois dormant
(Antoinette Sibley / Mikhaïl Barychnikov), de Légende,
de John Cranko (Marcia Haydée / Richard Cragun), de Tchaïkovsky
Pas de deux
(Suzanne Farrell /
Peter Martins, «emprunté» à
la concurrence, le New York City
Ballet), du Lac des cygnes (Pas
de deux du cygne noir, Lucette Aldous / Fernando Bujones), Le
Corsaire (Mikhaïl
Barychnikov),
ainsi que de deux ouvrages fictifs justifiés par le
scénario,
Ellingtonia et Anna
Karenina.

On
y retrouvera également Barychnikov dans des extraits de La
Belle au bois dormant,
de
Tchaïkovski Pas de deux,
et pour le «final», dans un duo d'anthologie
extrait du troisième
acte de Don Quichotte,
aux côtés d'une Leslie Browne en état de
grâce. Curieusement,
cette scène fameuse n'a pas été
tournée à New York, au
Metropolitan Opera, mais au Shrine Auditorium de Los Angeles, un
extravagant bâtiment de style néo-mauresque,
souvent utilisé pour
les cérémonies de remise des Oscars. Ironie du
sort, The
Turning point,
nominé onze fois
(!), ne remporta pas une seule statuette.
Si
les producteurs ont fréquemment
privilégié les studios de cinéma
californiens – notamment pour des raisons de
commodité, la
bande-son ayant été enregistrée par le
Los Angeles Philharmonic
sous la direction de John Lanchbery, les nostalgiques se satisferont
tout de même des séances de
répétition filmées dans les locaux
historiques de l'ABT, à Broadway, qui ont d'ailleurs peu
changé
depuis les années 1970.
Après
The Turning point,
Mikhaïl Barychnikov ne fera plus qu'une seule apparition dans
un
long-métrage, White Nights,
film de pure propagande politique réalisé dans
les dernières
années de la Guerre froide, par un Taylor Hackford bien
moins
inspiré que Herbert Ross, qui avait évidemment
une toute autre
sensibilité à la danse. Pourtant, c'est White
Nights
qui obtiendra l'Oscar refusé à The
Turning Point.
The Turnig point
a déjà fait l'objet de diverses parutions en DVD,
mais c'est la
première fois que la version française du film
sort en BluRay. On
regrettera l'absence de tout bonus, d'autant que bon nombre des
danseurs qui ont participé au film sont encore en vie.
Quelques
interviews auraient certainement constitué de
précieux témoignages
pour les générations futures.
Romain
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