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entretiens
Sarah Hay (Semperoper Ballett) : danseuse en Allemagne, actrice en Amérique

19 octobre 2015 : Sarah Hay, danseuse et actrice


Sarah Hay est une jeune danseuse dont les débuts ont été plus que difficiles dans son Amérique natale, où elle peinait à trouver des engagements en raison d'un physique jugé inadéquat. C'est finalement de l'autre côté de l'Atlantique, que sa carrière s'est développée, grâce à Aaron Watkin, qui a su détecter son potentiel et lui a offert un poste au Ballet de la Semperoper, le prestigieux théâtre de la ville de Dresde. Paradoxalement, les USA vont tout de même lui apporter une consécration, mais dans  un genre inattendu : la série télévisée. Après de modestes débuts en tant que figurante dans le film Black Swan de Darren Aronofsky, elle s'est vu proposer un rôle de premier plan dans Flesh and Bone, qui comporte huit épisodes diffusés en bloc aux USA le 8 novembre 2015, le jour même de la parution de l'interview que Sarah Hay nous a accordée.





Avant de faire carrière au Ballet de la Semperoper de Dresde, vous vous êtes formée à la danse en Amérique. Pouvez-vous nous dire comment se sont passées vos premières années Outre-Atlantique?

Sarah Hay : Mon parcours n’a pas été des plus simples. Après avoir dansé dans de petites écoles de danse dans le New Jersey, j’ai réellement commencé la danse classique quand j’ai eu huit ans, à la School of American Ballet de New York [l’école de danse du  New York City Ballet, ndlr]. A 15 ans, j’ai arrêté de danser pendant presque toute une année, car je ne me sentais pas à ma place. L'année d'après, j’ai intégré la Jacqueline Kennedy Onassis School of Ballet, l’école de l’American Ballet Theater, où je suis restée pendant trois ans.

À l'issue de la formation, à l'âge de 18 ans, je n’ai pas trouvé de travail. On m'avait promis un contrat avec la Studio Company [la compagnie junior de l'ABT, ndlr.], et bêtement je n'ai pas auditionné. J’étais pourtant certaine d’y obtenir une place. Puis le directeur a changé, et je ne correspondais plus aux critères de choix de la nouvelle équipe. Donc je me suis retrouvée sans rien et j’ai pris des cours où je pouvais. Je suis allée à STEPS [école de danse célèbre de Broadway, ndlr.], et, au bout d'un certain temps, j'ai été repérée par Jean-Pierre Bonnefous, alors directeur du North Carolina Dance Theater (aujourd'hui Charlotte Ballet). J’ai intégré la compagnie junior et j’y suis restée un an et demi. Ça n’a pas très bien marché, car je sortais d'une école purement classique, et le répertoire était trop contemporain pour moi.

Ensuite, je suis allée au Pennsylvania Ballet. Mais mon physique, principalement ma poitrine, leur posait problème. Je ne dansais quasiment jamais et c'était très frustrant. Alors que l'on remontait une pièce de Forsythe, Jodie Gates [danseuse et chorégraphe américaine qui a notamment collaboré avec le NYCB et l’ABT, ndlr.], voyant que c'était un style qui m'allait très bien, s’est étonnée de ne pas me voir distribuée et m’a incitée à postuler dans une autre compagnie, où l’on m’apprécierait à ma juste valeur.

Je suis partie à la recherche de «summer classes» où l’on faisait travailler du Forsythe, et j’ai trouvé un stage d’été à Dresde, dirigé par Guy Albouy et Marina Antonova. Quand j’y repense, c'était assez fou de quitter les États-Unis, juste pour aller prendre des cours en Europe, sans aucune assurance d'y trouver du travail. J'étais terrifiée, mais c'était maintenant ou jamais, je n'avais pas le choix. On ne m’appréciait pas dans mon pays, donc j'ai préféré tenter ma chance en Europe. Et cela s'est avéré payant, au bout du compte, mais c'était loin d'être gagné quand j’ai débarqué à Dresde!



A l'issue de ce stage, vous avez pu auditionner pour le Ballet de Dresde. Comment avez-vous intégré la compagnie?

L'audition s'est très bien déroulée. C'était la première fois qu'un directeur (Aaron Watkin) m’appréciait et n'était en aucun cas gêné par mon physique. Il a même trouvé que mes courbes me rendaient vraiment sexy et attiraient l'œil! C'était irréel. Malheureusement, il n'y avait pas de poste vacant dans sa compagnie. Il m'a dit qu'il me rappellerait dès qu'une place se libérerait. C’est ce que disent tous les directeurs, et évidemment, je ne l'ai pas cru.

Je suis retournée à Philadelphie fin août 2010, et j’ai continué à prendre des cours à droite et à gauche. J'ai passé des auditions horribles à Broadway, j’avais clairement envie de tout arrêter. Je n'avais plus aucun espoir. J'avais 23 ans, je n'avais été qu’«apprentice» dans des compagnies où je ne mettais que très rarement les pieds sur scène. Et il fallait que je travaille à côté pour payer mon loyer et mes cours. J'ai été serveuse dans des restaurants le soir, ou dans des bars. Je touchais certes des aides de l’État, mais la vie est tellement chère aux États-Unis que ça devenait trop difficile moralement et physiquement. Puis, un jour, Aaron Watkin m’a appelée pour me dire qu'une soliste venait de quitter la compagnie et qu'il m'offrait un poste de Corps de ballet à Dresde. C'était surréaliste!


Comment se sont passés vos débuts à Dresde?

J'étais euphorique à l'idée d'avoir enfin décroché un contrat alors que je n'y croyais plus du tout. Mais d'un autre côté, c'était angoissant. Au début, je me sentais très seule, je n'arrivais pas à me faire d'amis. Arrivée en cours de saison, j’ai dû apprendre très vite la chorégraphie de La Belle au bois dormant, que tous les autres danseurs connaissaient déjà. Sur scène, ça a d’ailleurs été un désastre! Puis Judith Fugate, du Balanchine Trust, est venue remonter Coppélia, et m’a confié un rôle de soliste dans la Valse des heures. Je n'étais que remplaçante, mais la titulaire s'est blessée et je me suis retrouvé à danser un solo pour la première fois de ma vie, lors de mon deuxième spectacle à la Semperoper. C'était risqué, d’autant que je n'avais aucune expérience ou presque, même en tant que danseuse de corps de ballet, où j'avais été constamment mise à l'écart car trop grosse!

Ce fut vraiment une expérience magnifique. Ensuite, j'ai eu la chance de danser le rôle-titre de Cendrillon, de Stijn Celis, également durant ma première saison, alors que je n'étais encore que corps de ballet. Enfin on m'appréciait à ma juste valeur, et on ne se focalisait plus en premier sur mon physique!

Sarah Hay


Vous entamez à présent votre sixième saison à Dresde, en tant que demi-soliste. Quels rôles vous ont le plus marquée?


J'ai eu la chance de danser plusieurs rôles principaux de Balanchine, tels que Swanilda dans Coppélia ou récemment dans Thème et variations. En raison de ma formation à l’École du New York City Ballet, j’étais déjà habituée à Balanchine, mais je n'aurais jamais imaginé pouvoir danser de tels ballets. J'étais très nerveuse, surtout pour Thème et variations, mais lorsque je repense aux difficultés rencontrées à mes débuts, je me rends compte que j’ai pris une belle revanche sur la vie. A Dresde, on me fait danser autant du classique pur que du Forsythe, du Kylian ou du Naharin.

J’ai également interprété le rôle de Clara dans le Casse-Noisette d’Aaron Watkin. Et je suis heureuse, car prochainement, je vais danser le rôle titre de Manon de Mac Millan. Je suis la troisième distribution, après Melissa Hamilton, qui est danseuse principale invitée, et Anna Merkulova. Je travaille mon rôle en ce moment, et je le danserai à mon retour de New-York.


Justement, comment avez-vous pu combiner le tournage et votre place de danseuse au Semperoper?

Aaron Watkin savait que j'étais allée auditionner, et comme moi, il pensait que ça ne marcherait pas. Il ne comprenait pas pourquoi j'avais envie de faire ce genre de série. Pour lui, ça n'en valait pas la peine! Mais quand je suis revenue du casting et que je lui ai expliqué de quoi il s'agissait, il a accepté que je le fasse. Mais tout n'était pas gagné.

J'ai obtenu une sorte de congé sans solde et ai commencé à tourner dès le mois d'avril jusqu'à la fin de l'été (2014!!). Ça fait plus d'un an que j'attends la sortie, c’est assez long! La saison dernière s'est passée comme si de rien n'était, j’ai participé à toutes les premières avec la compagnie, et c'est seulement cet été que je suis retournée à New-York et à Los Angeles pour faire la promotion de la série, faire des couvertures de magazines, des interviews, etc.  Je me suis même retrouvée au Television Critic Awards, un moment extrêmement éprouvant, où, avec seulement quelques membres du casting, on se retrouve face à une centaine de critiques. J'avais vraiment l'impression avec cette expérience de vivre une tout autre vie!

Sarah Hay


Comment s'est déroulé le tournage? Était-ce une belle expérience?


C'était réellement éprouvant, nous avions des horaires impossibles, mais je suis heureuse de l'avoir fait. J’ai tellement appris et ça a vraiment changé mon regard sur moi-même.

Malheureusement, en dehors des scènes dansées (une toutes les trois semaines environ), je n'ai jamais eu le temps de prendre un seul cours de danse. J'ai eu peur un moment d’y perdre mon niveau. Mais au final, ça m'a servi dans la façon d'interpréter mon rôle. Il s'agit tout de même d'une jeune fille, totalement perdue et solitaire, qui se bat avec ses démons... mais pas comme on a pu le voir dans Black Swan ou dans le film Center Stage (Danse ta vie). Il est évident que tout le monde compare Flesh and Bone avec ces films-là. Certes, tout comme Black Swan, c’est sombre, il y a du sang, mais pour Claire - le rôle que j'interprète -, tout est réel. Elle n'est pas folle, elle n’a pas d'hallucinations, elle n’est pas non plus complètement obsédée par la danse. Au contraire, elle est très intelligente et calculatrice. Elle sait ce qu'elle veut. Au début, elle ressemble à l'image que l'on se fait de la petite danseuse parfaite, mais au fil des épisodes, on découvre qui elle est vraiment. Chaque épisode révèle une autre facette de sa personnalité et, petit à petit, on se retrouve avec une tout autre image d'elle que celle que l'on en avait au début.


Votre expérience d'actrice vous a-t-elle plu?

J'ai beaucoup apprécié l'atmosphère de travail. C’est difficile, mais vraiment différent de la danse. Je trouve qu’on est beaucoup plus libre artistiquement : on m'a beaucoup plus laissé improviser, tenter des choses, alors que ça n'arrive jamais dans la danse. Les choses doivent être faites d'une certaine façon, et l'on doit s'y tenir.

C'était aussi la première fois de ma vie où, quoi que je fasse, les réalisateurs avaient de vrais bons retours. C’était vraiment gratifiant. Certes, il y est question de danse, mais je n'ai rien à voir avec mon personnage. J'ai vraiment dû jouer un rôle, imaginer, créer, car nous n'avons rien en commun avec le personnage. Claire est auto-destructrice, ce que je ne suis pas du tout. Il y a des scènes de sexe que je n'aurais pu imaginer dans la vraie vie. Mais dans un sens, j'ai beaucoup appris sur moi-même avec ce rôle de composition. On m'avait dit jusqu'alors que mon corps ne correspondait pas aux normes ; désormais, on me trouvait belle et sensuelle, et j'en ai ressenti une réelle force, qui m'a enfin donné confiance en moi. Je me retrouve même seins nus dans plusieurs scènes, alors que toute ma vie, j'ai été complexée par ma poitrine. Ça a vraiment changé mon rapport avec mon corps. Je me souviens de l'angoisse quand Jiří Kylián est venu à Dresde pour auditionner les danseurs pour Bella Figura, que je ne voulais absolument pas faire, car dans cette pièce les danseuses sont aussi seins nus.

En tout cas, je ne sais pas si d'autres projets se présenteront à moi, mais j'ai vraiment beaucoup apprécié cette expérience et je me verrais bien retourner dans cette voie
.


Cette série ne sera-t-elle diffusée qu'aux États-Unis?

Non, elle sera diffusée partout, via Apple TV, sur la chaîne Starz. Il y a en tout huit épisodes d'une heure chacun. Le 2 novembre aura lieu la soirée de présentation, puis le 8 novembre seront diffusés à la télévision tous les épisodes à la suite. C’est en anglais pour le moment, mais il se peut que la série soit diffusée plus tard officiellement dans d'autres pays, et pourquoi pas sur des chaînes françaises. Pour l'instant, il n'y a que cette série de huit épisodes de prévu et nous n’en sommes qu'au lancement. On doit encore attendre les réactions, les critiques. Mais on ne sait jamais, il se peut que la série se poursuive via Netflix ou via d'autres canaux si la demande est là.





Sarah Hay - Propos recueillis et traduits en français par Aurélie Lafaye

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Entretien réalisé le 19 octobre 2015 - Sarah Hay © Dansomanie


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